Judith Perrignon has an article in Le Magazine du Monde on a former editor of the newspaper of reference.
[Adolescent à Alger, Edwy Plenel] rejoint la France, la JCR, jeunesse antistalinienne de la Ligue communiste révolutionnaire, néglige les études qui s'annoncent brillantes, lâche Sciences Po, se lance à corps perdu en politique. C'est à un congrès de la LCR à Rouen, qu'il rencontre sa femme, Nicole Lapierre, elle a pour pseudo "Emmanuelle", elle lui fait grand effet lorsqu'elle discourt à la tribune. Elle est aujourd'hui sociologue et anthropologue, directrice de recherche au CNRS et un personnage pilier de son existence. Ils ont une fille. Elle se souvient avoir, dès leur rencontre, mesuré l'empreinte laissée par l'histoire paternelle. "Son père n'avait pas encore été totalement réhabilité, il travaillait pour l'Unesco en Inde. S'il était ailleurs, c'est qu'il n'avait ni statut ni travail en France." L'avocat Jean-Pierre Mignard le rencontre à peu près au même moment, dans les cercles étudiants, il se rappelle "quelqu'un de brûlant, inquiet, curieux, anxieux, méticuleux et obsessionnel". Brûlant, inquiet, curieux, anxieux, méticuleux et obsessionnel. Autant de mots qui reviendront au fil de sa vie dans la bouche de ceux qui l'aiment comme dans celle de ceux qu'il insupporte.
"TROTSKISME CULTUREL"
"Trotskiste un jour, trotskiste toujours", disent certains à son sujet, pour résumer la suite de son parcours, comme une bonne vieille entreprise d'entrisme chère à l'extrême gauche. Il y a appris la dialectique, rencontré la femme de sa vie, des amis qu'il a gardés, la figure de Daniel Bensaïd qui lui a donné à lire et découvrir, et il revendique encore un "trotskisme culturel". Mais le trotskisme n'était finalement que l'instrument d'une enfance revancharde et l'expression d'une jeunesse de son temps. "Ce n'était pas un tribun, un homme de meeting, mais un meneur discret et déjà une plume acerbe et astucieuse, qui restait proche des Antilles et traitait à Rouge l'éducation. Quand il nous a quittés, ce n'était pas comme une rupture", se souvient Alain Krivine.
C'était en 1979. "J'avais trouvé en chemin un métier qui était le journalisme. En 1970, je vendais Rouge dans la rue. Je criais : "Demandez ! Lisez le seul journal qui annonce la couleur !" Un journal, c'est chercher le lecteur", affirme Plenel. Il était le crieur qui tient aujourd'hui lieu d'emblème à Mediapart. Il avait trouvé sa voie, son arme. Sa cible : "Le cerveau reptilien de l'Etat." Il emploie souvent l'expression, c'est un homme à formules. On dirait un long fleuve poisseux au bord duquel il aurait grandi.
Tout commence vraiment à l'été 1982 : il n'y a pas grand monde à la rédaction du Monde où il travaille depuis deux ans, il se retrouve à couvrir en catastrophe l'attentat antisémite de la rue des Rosiers. Ce fils de vice-recteur avait jusqu'alors traité l'éducation, le voilà qui côtoie la police, l'enquête. "Je suis passé de gommes et crayons à casques et matraques." Il n'en sortira plus. La police a ses passages souterrains vers le cerveau de l'Etat. Le voilà qui met à nu la guerre police-gendarmerie, surveille la cellule antiterroriste de l'Elysée, et révèle que les trois militants irlandais arrêtés à Vincennes n'ont rien à voir avec les dangereux terroristes que l'Elysée a donnés en pâture aux journaux. "Il faudra tout de même qu'on sache qui est vraiment ce M. Plenel", aurait alors dit Mitterrand.
JOUEUR DE POKER
En ces années-là, au Monde, on peut encore croiser le fondateur, Hubert Beuve-Méry, dans l'ascenseur, Plenel a 30 ans, des chemises noires déjà, sa moustache déjà, il fume le cigare, il a l'air d'un Sud-Américain, reconnaissable entre tous, physiquement pas le genre de la maison. Il n'est pas un séducteur de femmes, il ne s'adresse bien souvent qu'aux hommes, mais il a l'aura de la conviction, du secret, et la virilité de ceux qui cherchent les coups. Il rend ses papiers à la dernière minute, ce qui évite que son chef de service ne lui demande trop d'explications et de retouches.
Il est comme le joueur de poker, et c'est sur la foi d'une seule source qu'il offre au Monde, avec Bertrand Le Gendre, l'un de ses plus beaux scoops en 1985 : le Rainbow Warrior, bateau de Greenpeace coulé par une troisième équipe de la DGSE, dont la "une" est encore affichée dans le hall du journal. Et il bluffe quand on le freine.