Wednesday, August 13, 2014

The Day During the Iraq Crisis in 2003 When Le Monde Came Under Fire and Became Its Own Main Subject


 … une mauvaise nouvelle : « L'Express a avancé sa parution de vingt-quatre heures et publie demain les bonnes feuilles du livre de Pierre Péan et Philippe Cohen sur Le Monde. » Il est donc prêt, ce livre que la rumeur annonce déjà comme un brûlot !
France's daily of reference came under fire in February 2003, writes Raphaëlle Bacqué in (and about) Le Monde, when a book on "the hidden side of Le Monde" was published, La Face cachée du “Monde”.
Jean-Marie Colombani … a prévenu : « Il faudra choisir son camp. On sera pour ou contre. Je n'admettrai pas qu'on soit neutre. » 
Being either for us or against us, of course, was what all Frenchmen deplored as gravely as possible when such words were uttered by clueless Americans like George W Bush (whose attack on Iraq was to start only weeks later).

As it happens, the publication of the book will lead to a poisonous atmosphere at the newspaper, to charges of treason, to censorship, and to the ombudsman's admission that at the editorial offices, La Face cachée du “Monde” has become a more compelling subject than the Iraq crisis…

 … Biographe d'Hubert Beuve-Méry, Laurent Greilsamer n'ignore pas que Le Monde a déjà été violemment attaqué. Son indépendance, ses prises de position politiques, « son arrogance ! », disent ses détracteurs, ont presque toujours dérangé. Une longue suite de libelles jalonne son histoire. En 1951, L'Humanité l'accusait d'être « le journal de la grande bourgeoisie capitaliste ». L'année suivante, l'historien antistalinien d'origine russe Boris Souvarine voyait en Beuve-Méry « un agent du communisme ». Des quotidiens concurrents ont été lancés pour réduire son influence. On a tenté de le racheter ou de peser sur ses créanciers. En 1976, invité par Bernard Pivot sur le plateau d'« Apostrophes », un ancien de la rédaction, Michel Legris, vient raconter “Le Monde” tel qu'il est (Plon). Face au rédacteur en chef André Fontaine, outré, Legris pourfend un journal « inquisiteur », « jésuitique », « de mauvaise foi », lui reprochant sa « tartufferie » et dénonçant notamment sa complaisance pour les Khmers rouges en 1975.

Il y a des traîtres parmi nous »
 … Dans les bureaux du Monde, rue Claude-Bernard, le poison du soupçon a atteint, bien au-delà de ses trois cibles, l'ensemble de la rédaction. Partout on cherche des coupables. Certains parlent de complot, d'autres – souvent opposés au duo Colombani-Plenel – jugent qu'on a bien le droit de critiquer un journal lorsqu'il commet des erreurs. « Il y a des traîtres parmi nous puisque des journalistes ont pu prendre connaissance du livre avant qu'il sorte », dénonce sur LCI le chef adjoint du service politique Hervé Gattegno, en apprenant que deux membres de la Société des rédacteurs ont été conviés à lire le manuscrit, quarante-huit heures auparavant, dans les locaux de Mille et Une Nuits, la filiale de Fayard éditrice de l'ouvrage. Une assemblée générale, réunie en urgence, cinq heures durant, sous la lumière verdâtre des sous-sols de l'immeuble sans âme qui abrite Le Monde, menace de virer au règlement de comptes. Le chef des grands reporters, Eric Fottorino, longuement cité dans le livre, se voit contraint à une justification de ses liens avec Pierre Péan qui prend les allures d'une autocritique. 

Une joie mauvaise

Le Monde ne s'aime plus. Le Monde n'est plus aimé. « Le plaisir de le voir à terre a été général, constate l'éditorialiste Gérard Courtois. Des décennies d'agacement silencieux et de haines multiples, d'acrimonie et de jalousie ont soudain dégorgé. » On en rit dans les dîners du Tout-Paris. Au bureau national du PS, les éléphants du parti, dont beaucoup n'ont digéré ni les attaques contre François Mitterrand ni la révélation du passé trotskiste de Lionel Jospin à la veille de la présidentielle de 2002, ricanent sur les mésaventures du quotidien.

A l'Elysée, Jacques Chirac, maintes fois exaspéré par les révélations sur le financement du RPR, a placé le livre bien en évidence sur son bureau, afin que ses visiteurs le remarquent. Les « Guignols de l'info », experts en dérision des pouvoirs établis, agitent chaque soir sur Canal+ une marionnette moustachue d'Edwy Plenel aux manières de commissaire politique. Pierre Péan et Philippe Cohen sont conviés partout, sans jamais trouver en face d'eux la contradiction : le trio des dirigeants mis en cause refuse de répondre sur les plateaux télévisés.
 
 … Dans son petit bureau de médiateur, au septième étage de la rue Claude-Bernard, Robert Solé croule depuis huit jours sous une avalanche de courriers et de mails de lecteurs compatissants, ironiques ou inquiets. A quelques jours de l'engagement de la coalition menée par les Etats-Unis dans la troisième guerre du Golfe, « La Face cachée du “Monde”, note le médiateur, a pris le pas sur l'Irak, c'est tout dire. » Diplomate subtil, cet ancien élève des jésuites au Caire a fait toute sa carrière au Monde. Ce journaliste modéré et courtois en connaît les arcanes, les traditions et les susceptibilités. Solé constate, lui aussi, que « jamais dans son histoire, Le Monde n'a été mis en cause de manière aussi globale ».

Comme il le fait chaque fois qu'il prend la plume, le médiateur a envoyé directement sa chronique au secrétariat de rédaction, parce qu'il est d'usage que cette conscience morale ne soit jamais amendée, même par la rédaction en chef. Elle se termine ainsi : « Le journal ne peut, me semble-t-il, s'en tenir à une réponse générale, une réfutation en bloc de La Face cachée du “Monde”. Il faut faire la lumière sur quelques accusations graves, qui risquent d'affecter durablement sa réputation et de resurgir à la moindre occasion. Car cette machine infernale est aussi une bombe à retardement. Une recension des “erreurs, mensonges, diffamations et calomnies” contenues dans le livre a commencé à la rédaction en chef. Elle devrait se traduire, tôt ou tard, par une publication. Le plus vite serait le mieux. Mais les éclaircissements que Le Monde doit à ses lecteurs ne sauraient se limiter à l'édition d'un catalogue d'erreurs. »
J'ai coupé le dernier paragraphe de ta chronique… »
Faut-il que les esprits soient chavirés pour rompre avec les règles sacrées du journal ! Une heure après le bouclage, Edwy Plenel prévient Robert Solé par téléphone : « J'ai coupé le dernier paragraphe de ta chronique… » Coupé ! La censure, inédite dans le journal de Beuve-Méry, met le « sage » Solé hors de lui : « Jamais, en huit ans de médiation, cela ne m'était arrivé ! » Une semaine plus tard, Le Monde doit publier le paragraphe caviardé et Plenel faire amende honorable. Mais, désormais, sa marionnette, aux « Guignols de l'info », est affublée d'une grande paire de ciseaux…

  … La Face cachée du “Monde” reste une obsession. Elle n'a pourtant pas encore montré tous ses effets dévastateurs.

Elle va bientôt faire une série de victimes. En octobre 2003, Daniel Schneidermann est licencié, après avoir contesté, dans un essai intitulé Le Cauchemar médiatique (Denoël), l'attitude de la direction du Monde. Un an plus tard, dans une des tours du Palais de justice qui abrite le bureau du premier président de la Cour de cassation Guy Canivet, une médiation met fin au procès en diffamation du Monde contre Pierre Péan et Philippe Cohen. Claude Durand renonce à tout tirage supplémentaire du livre, déjà vendu cependant à 204 416 exemplaires. L'effet de souffle de ce qu'Edwy Plenel appellera « un attentat éditorial » entraîne pourtant à son tour, en 2005, le départ de ce dernier, un an après qu'il eut réclamé en vain à Jean-Marie Colombani la direction du journal. La même année, Josyane Savigneau, dont la direction du « Monde des livres » avait eu droit à un chapitre entier du brûlot, doit céder la place. Le 22 mai 2007, Jean-Marie Colombani, qui sollicitait un troisième mandat à la tête du directoire du groupe, n'est pas reconduit par la Société des rédacteurs. Moins d'un an plus tard, Alain Minc devra à son tour se retirer. Comme un château de cartes, le trio s'est effondré devant une bombe en papier.