1983 and 2013: Eric Mohamed lying among the débris of France's Drakkar barracks in Lebanon's capital (only the parachutist's hand is visible) being comforted by Yves Verdier, and below, trying to cope 30 years later — only once over three decades did the two men meet again. "One wonders what purpose there is in serving one's country" says Eric Mohamed.
Thirty years after the October 1983 suicide attacks that killed 241 U.S. Marines and 58 French parachutists in their respective Beirut barracks, Le Monde's Benoît Hopquin visits a number of French survivors for M Le magazine du Monde.
In what sounds like the well-publicized trauma accounts for America's Vietnam veterans, Eric Mohamed, Sylvain Fresnay, Farid Guerdad, Daniel Tamagni, Dominique Grattepanche and Lucien Jacquart tell tales of post-traumatic stress and of being forgotten by French society as well as by the army's own hierarchy.
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Le Monde's Benoît Hopquin:
While the parachutists were getting up, on Sunday, October 23, around 6:30 am, they heard an explosion near the airport, in the American sector. A mushroom of smoke rose into the sky. The Marines' headquarters had blown up, killing 241. One minute 30 seconds later, the men heard a huge boom below their feet and saw a fireball emerge. They felt lifted into the air and then falling, inexorably, while the walls and ceilings collapsed upon them. Crushed to death by the collapse of the building were 55 parachutists from the 1st Régiment de Chasseurs Parachutistes and three from the 9th RCP, along with — we often tend to cruelly forget them in the balance sheet — the wife of the Lebanese caretaker and her four children.
Daniel Tamagni: "On September 11 [2001], Lebanon's wounds woke up in my head"
"Le 11-Septembre, les blessures du Liban se sont réveillées dans ma tête"
Régulièrement, d'anciennes douleurs se réveillent. La première fois, c'était en septembre 2001, quand les tours de New York se sont effondrées. Daniel Tamagni souffrait le martyr mais les examens ne montraient rien. Les médecins ont fini par comprendre. "Les blessures que j'avais eues au Liban se réveillaient dans ma tête."
Daniel Tamagni sait à quoi peut ressembler la mort. Quand il était bloqué sous les décombres, le bras perforé par un bloc de béton, la poitrine comprimée par les sacs de sable, il l'a vue approcher. "On ne crie plus, on ne souffre plus, on a une bouffée de chaleur, on voit une lumière au bout d'un tunnel. On s'endort avec le sourire." Après cinq heures de combat, les sauveteurs l'ont arraché aux décombres. "C'est comme si on me sortait du tombeau. Le corps est là mais l'âme s'en est allée."
Farid Guerdad: "In my nightmares, I am walking on the heads of my mates"
" Dans mes cauchemars, je marche sur la tête de mes camarades "
Farid Guerdad … peut raconter ses nuits d'insomnie, le sommeil haché, peuplé toujours du même cauchemar : "Je suis dans le bâtiment et je marche sur la tête de mes camarades." Il ouvre le dossier rouge, aujourd'hui délavé, sort une photo prise sur la barge de débarquement, à Beyrouth. "Sur quatorze, nous ne sommes que quatre survivants." L'émotion le submerge.
Sylvain Fresnay: "The only indemnity I received was 500 Francs and a sweater"
"Pour tout dédommagement, j'ai reçu 500 francs et un survêtement"Dominique Grattepanche and Lucien Jacquart: "People are already starting to forget the dead in Afghanistan. So, our chums in the Drakkar building, whaddya think…"
Comme il n'a pas été blessé dans les décombres, Sylvain Fresnay n'a droit à aucune pension, à aucune médaille. … Il a perdu tous ses papiers, tous ses souvenirs. Il regrette surtout le pull que lui avait offert sa fiancée, Patricia. "Pour tout dédommagement, j'ai reçu 500 francs et un survêtement." On lui rendra plus tard quelques photos dans une enveloppe kraft. "Pas toutes. On les a triées." Sylvain Fresnay achève son service militaire dans les brumes de l'alcool. "Ma solde y passait." Avec d'autres rescapés, il casse deux fois de suite un bar où on s'était moqué des gars du Drakkar. Il refuse le galon de sergent qu'on lui propose. "Prends-le pour les copains", lui disent des sous-officiers qui étaient avec lui dans l'immeuble. Il accepte mais, en signe de protestation, il se présente à la remise avec le survêtement que lui a concédé l'armée.
"On oublie déjà les morts d'Afghanistan Alors les copains de Drakkar"
Derrière ses airs forts, Dominique Grattepanche a aussi "des hauts et des bas". "Je vis avec ça, explique-t-il. Je me lève avec ça. Je me couche avec ça. Je fais des cauchemars. ça ne s'effacera jamais." Les nuits d'orage, dès que gronde le tonnerre, un réflexe le jette en bas de son lit. …Eric Mohamed: "One wonders what purpose there is in serving one's country"
Les deux hommes participent à toutes les cérémonies officielles. Lucien Jacquart enfile son uniforme et porte le drapeau. "On oublie déjà les morts d'Afghanistan. Alors, les copains de Drakkar, vous pensez... Si nous ne sommes pas là pour honorer leur mémoire, qui le fera ?"
"On se demande à quoi ça sert de rendre service à son pays"
Quand il était sous les décombres, une jambe écrasée sous un bloc de béton, le filet de lumière qui filtrait a été son seul lien à la vie. Grattant les gravats avec sa baïonnette, il est parvenu à glisser son bras par l'ouverture. Il a senti une main tendue à sa rencontre. Il l'a happée et ne l'a plus lâchée. C'était la solide pogne d'un autre para, Yves Verdier, son sauveteur. Des photographes ont saisi cet instant. Le cliché est devenu le symbole de cette journée tragique, par antiphrase, en ce qu'il recelait d'humanité.
… on l'a bien laissé tomber, le vieux para. Récemment, il a vu un reportage à la télévision sur des jeunes qui entraient dans son régiment, le 1er RCP. "L'officier disait : "Souvenez-vous de vos anciens qui en ont bavé." ça m'a fait marrer. Moi, ils m'ont bien oublié, va. On se demande si ça sert à quelque chose de rendre service à son pays."
… Eric Mohamed a été retiré de l'immeuble avec une double fracture tibia-péroné, un traumatisme crânien et "une tête de bouledogue". En juin 1984, il a résilié son contrat militaire. "Quand je suis allé rechercher mon paquetage à Pau, ce n'était pas loin de "Casse-toi". J'étais considéré comme un lâcheur." Il est retourné chez lui, à Saint-Alban-de-Roche.
"ASSIS LE CUL SUR UNE BOMBE"
On les a installés dans un des quelque trente casernements qu'occupait le contingent français de la force multinationale à Beyrouth. Ils portaient tous des noms de bateau. Eux, ce fut Drakkar. Ils ne sortaient que pour les patrouilles, dans le secteur qui leur avait été attribué. Ils n'ont pas tardé à comprendre qu'on les avait "mis au milieu d'un merdier", "assis le cul sur une bombe". D'une rue à l'autre, ils percevaient de la sympathie ou de l'hostilité. Dans les quartiers chiites où trônaient les portraits de Khomeiny flanqués de drapeaux noirs, ils ressentaient la haine.
Le dimanche 23 octobre, vers 6 h 30, alors qu'ils se préparaient, ils ont entendu une explosion du côté de l'aéroport, dans le secteur américain. Un champignon de fumée s'est élevé dans le ciel. Le siège des marines venait de sauter, faisant 241 morts. Une minute trente plus tard, les hommes ont entendu un énorme boum sous leurs pieds et vu sortir une boule de feu. Ils se sont sentis soulevés puis inexorablement tomber, tandis que les murs et les plafonds s'écroulaient sur eux. Cinquante-cinq paras du 1er RCP, trois du 9e RCP et, on les oublie souvent cruellement dans le bilan, la femme du gardien libanais et ses quatre enfants sont morts écrasés par l'effondrement de l'immeuble.
Pendant un mois, l'opinion publique s'est émue du drame. Les chambres des quinze blessés, à l'hôpital du Val-de-Grâce, étaient gardées par des gendarmes pour empêcher les journalistes et les groupies d'entrer. Les morts ont été enterrés dignement, avec une belle cérémonie dans la cour des Invalides. Et puis on a oublié.
TRENTE ANS N'ONT RIEN EFFACÉ, BIEN AU CONTRAIRE
Pour la quarantaine de survivants de la 3e compagnie, trente ans n'ont rien effacé, bien au contraire. Tous gardent des séquelles psychologiques graves. L'un, qui a passé quarante-huit heures dans les décombres, est devenu amnésique. Un autre s'est détruit les neurones par l'alcool et la drogue. Un autre est interné en psychiatrie. Un autre est mort dans un accident de voiture inexpliqué. Le 7 mars dernier, Christian Roulette, qui n'avait plus jamais donné de nouvelles, a été recontacté par un ancien copain. Ils sont restés quarante-huit minutes au téléphone. Deux jours après, Roulette avait disparu. La gendarmerie le recherche toujours.
Les survivants n'ont jamais eu le moindre suivi psychologique. Leur douleur et leur colère sont toujours là, prêtes à sortir en éruption. Aujourd'hui, ils pestent contre ceux qui lésinent sur des pensions d'invalidité de 100 ou 200 euros, comme une dernière forme de mépris. Ils se sentent abandonnés.